Jeudi 30 août 2012. Dans l’avion au départ de Charleroi en destination de Carcassonne, je pars rejoindre Yvon Bourrel et Thibaud Faëse découvrir Lapradelle-Puylaurens. Le nom de ce lieu est souvent présent à la fin des manuscrits d’Yvon. Je l’avais remarqué à la fin des 1er et 2e mouvements du Concerto pour flûte à bec qu’Yvon m’avait dédié. Yvon m’avait parlé de Lapradelle, me disant qu’il avait une maison familiale bâtie par son grand-père, où il avait plaisir depuis son enfance à passer ses étés. Thibaud, Yvon et sa femme Mayou y étaient déjà depuis quelques jours. J’étais attendu, et c’est avec émotion que je repensais dans l’avion à ma première rencontre avec lui.
Au début de l’année 2009, Thibaud me proposa de rencontrer Yvon dont je connaissais la musique et que j’avais croisé en 1998 à l’occasion d’un concert organisé par Thibaud avec le groupe vocal Nadia Boulanger qu’il dirigeait au Théâtre des trois Chênes au Quesnoy. Je revois encore Yvon au piano créant sa Deuxième Sonatine…
Au printemps 2009, sur les conseils de Thibaud, je décidai de commander une pièce pour flûte à bec à Yvon qui pourrait être un concerto avec orchestre à cordes. Yvon n’avait pas de connaissance technique approfondie de mon instrument. Je commençais par lui faire découvrir des œuvres contemporaines pour flûte à bec et orchestre, en particulier de compositeurs nordiques où l’interprétation de Michala Petri m’avait séduit : Moonchilds Dream de Thomas Koppel, compositeur suédois mort en 2006, le Concerto pour flûte à bec et orchestre de Joan Albert Amargos, compositeur espagnol né en 1950, le Concerto pour flûte à bec et orchestre op. 133 de Sir Malcolm Arnold, compositeur anglais mort en 2006, etc. J’avais également choisi une dernière œuvre tonale, la Sonatine pour flûte de Lennox Berkeley, compositeur anglais mort en 1989. J’ai eu ensuite grand plaisir au cours de déchiffrages du répertoire de la flûte à bec d’expliquer à Yvon les particularités techniques des différentes flûtes. Sa curiosité fut grande et très vite il partit sur l’idée de composer un concerto. Son choix se portait sur la flûte alto pour l’ensemble de cette œuvre. J’attendais donc avec impatience qu’Yvon se mette au travail et avoir la joie de découvrir le traitement musical qu’Yvon ferait de la flûte à bec.
Un atterrissage un peu raide interrompit le flot de mes pensées. Thibaud et Yvon m’attendaient à l’aéroport. Je pris place dans la voiture en route pour Lapradelle. Sortis de Carcassonne, nous arrivâmes dans la campagne, la musique du Concerto me revenait naturellement à la mémoire…
Paysage de l'Aude
Yvon l’avait écrit durant l’été 2009 en trois semaines. Par la vitre de la voiture, je fus touché par la grandeur et la force des paysages et toute la musique d’Yvon s’illustrait : la verdure, les montagnes, les rivières donnaient sens aux mélodies que j’avais jouées dans le Concerto.
Yvon fait partie des compositeurs pour qui la forme est un élément fondateur de la créativité. Son Concerto est donc écrit en trois mouvements dans la grande tradition de ceux de Vivaldi, de Mozart… Son choix d’orchestration se porte sur l’orchestre à cordes qui va offrir à la flûte solo un tapis de velours.
Le premier mouvement s’ouvre par une phrase aux violoncelles, rejoints très vite par les altos et l’entrée de la flûte.
Ce mouvement est de forme sonate ; deux thèmes vont être exposés puis développés. Je remarque tout de suite dans le premier thème l’innovation mélodique qu’apporte Yvon au répertoire ; j’y retrouve son goût pour les grandes lignes musicales apportant à ce premier thème une atmosphère de sérénité grâce à une pulsation modérément animée.
Le deuxième thème est annoncé aux violons dont l’harmonie et l’écriture lui donnent un caractère nostalgique. Le développement est de forme libre reprenant tour à tour les motifs rythmiques ou mélodiques des thèmes. Une cadence écrite par Yvon m’a permis de découvrir qu’Yvon avait parfaitement assimilé les contraintes techniques et virtuoses de mon instrument.
Ce premier mouvement se termine par une coda assez nostalgique anticipant l’ambiance mystérieuse du deuxième mouvement. Lorsque je le déchiffrai, je trouvai un lien et une inspiration dans l’ouverture «Les Hébrides» de Mendelssohn.
Le deuxième mouvement de forme lied A-B-A démarre par des cordes avec sourdine créant une ambiance angoissante qui s’apaise avant l’entrée de la flûte. Sur un accord de si bémol mineur, la flûte fait son entrée sans rigueur développant sa phrase sur tout l’ambitus de l’instrument.
Les mélismes de la flûte sont ensuite ponctués par des accords toujours inattendus. Son deuxième thème est beaucoup plus rythmique avec l’intervention des violoncelles, contrebasses, et timbales marquant un genre de ponctuation au discours.
Le premier thème revient sous forme d’un dialogue déchirant à trois voix : le violon solo, le célesta, et la flûte à bec. Le thème mystérieux du début conclut ce deuxième mouvement, souligné du contrepoint de la flûte.
Le troisième mouvement est de forme rondo. Dans ce mouvement, Yvon va nous faire sentir ses deux influences majeures, celle du Languedoc pour son côté méridional, et dans une moindre mesure le caractère enjoué de la mélodie dans laquelle on peut percevoir une influence de Darius Milhaud. Le côté méridional d’Yvon apparaît dans le rythme de la sardane qu’il utilise pour l’un des couplets du rondo.
Il nous entraîne à la fin du mouvement vers un festival mélodique faisant rivaliser de virtuosité la flûte et l’orchestre. La conclusion de ce concerto se fait sur un dernier trait de virtuosité à la flûte.
En découvrant ces paysages, j’arrivai à mettre des images sur l’inspiration qu’avait eue Yvon pour l’écriture de ce concerto. Ma contemplation de la nature était ponctuée de quelques phrases d’Yvon qui me parlait des endroits de sa jeunesse et de ce sentiment qu’il avait de «coucher avec la nature». En effet, lorsque j’arrivai chez lui, la terrasse de sa maison pouvait me donner l’illusion de toucher du doigt la grandeur du paysage…
Château de Puylaurens
Yvon à Lapradelle-Puylaurens
Yvon Bourrel au piano - Maison de Lapradelle-Puylaurens
Autour d’une blanquette de Limoux bien fraîche, nous fûmes heureux Yvon et moi de repenser à ce week-end des Journées du Patrimoine 2011 où j’avais exécuté avec le Valentiana Orchestra sous la direction de Thierry Thibault ce concerto qui m’était dédié.
Thibaud Faëse, Yvon Bourrel et moi
La maison de Lapradelle était à l’image du couple Bourrel : simple et chaleureuse. La présence bienveillante d’Yvon côtoyait comme à Amiens les peintures de Mayou. J’avais lors de mes répétitions à Amiens fait aussi la connaissance de l’art de Mayou. J’appris qu’elle avait étudié aux Beaux-Arts de Valenciennes où elle avait fréquenté Francis Beaudelot. C’est avec autant de plaisir que mes yeux cette fois furent charmés par ses toiles. Admirative des Maîtres de la peinture et des peintres de son époque, Mayou s’orientera tantôt vers le surréalisme, tantôt vers le figuralisme et le classicisme, pour peindre des scènes authentiques d’une grande sincérité. Elle sera très attirée par la peinture du corps, amenant par des décors simples et épurés un réalisme émotionnel à ses modèles.
Tableaux de Mayou Bourrel
Mon séjour à Lapradelle en compagnie d’Yvon et Thibaud a été l’occasion de poursuivre l’entretien que nous avions engagé lors des Journées du Patrimoine 2011 et qu’il me semblait important d’approfondir et compléter. Par ailleurs, ce court séjour fut pour nous l’occasion de fréquenter Fauré, Schubert, Schumann, et Mozart dont les notes interprétées par Yvon résonnaient en moi lorsque l’avion au-dessus des nuages me ramenait dans le Nord.