Le flageolet de Brosio est une nouvelle de J. Girardin publiée dans Le Journal de la Jeunesse vers 1880.
...je lui demandai ce qu'il pouvait y avoir de curieux dans le bourg.[...] si nous n'avons plus de centenaire ni d'église romane, nous avons le flageolet de Brosio. Ah ! je vois à votre mine que vous avez des préjugés contre le flageolet. Un flageolet mal manié, c'est une fabrique de couics et de couacs, mais le flageolet de Brosio !
- Qu'est ce qu'il a donc de si extraordinaire, le flageolet de Brosio ?
- Par lui-même, rien, vous n'en donneriez pas dix sous à le voir ; mais si vous saviez ce qu'il en sort, quand il est manié par Brosio ! Brosio est un artiste, vous savez, et même un grand artiste. Vous n'avez pas l'air convaincu ?
[...] Brosio joua à la file un certain nombre d'airs du pays, que je connaissais déjà pour la plupart. Ou plutôt, je les connaissais sans en avoir jamais pénétré le sens, ni la profondeur d'expression. Je reconnus tout de suite que Brosio était un grand artiste, car il mettait de son âme et de sa passion personnelle jusque dans les mélodies les plus rebattues.
L'admiration profonde et sincère se reconnait à d'autres signes que les cris, les applaudissements et les louanges. Ce que j'éprouvais était si étrange et si nouveau, que je n'ai pas conscience d'avoir donné signe de vie pendant tout le temps. J'avais les regards fixés sur le parquet, et mon coeur s'épanouissait en moi ou se serrait, selon le rythme et le caractère de la mélodie.
Deux ou trois fois je levai les yeux. Brosio jouait pour sa mère, uniquement pour elle, les regards fixés sur les siens, souriant quand il la voyait sourire, ému lui-même quand il la voyait émue. Quant au maître d'école, les deux mains plantées sur les genoux, les coudes en l'air, le corps penché en avant, la tête inclinée à droite, il écoutait pour son propre compte, ce qui ne l'empêchait pas de me lancer des regards en côté pour voir si je me tenais bien. A un moment je fus forcé de détourner la tête pour cacher les larmes qui m'obscurcissaient la vue.
La mélodie, commencée en mineur, se termina en majeur, dans un mouvement plus vif. Brosio avait deviné d'instinct la loi des contrastes et la nécessité de relever l'âme de sa mélancolie avant de l'abandonner à elle-même. Et c'est en interprétant une mélodie presque banale avec un sifflet de dix sous qu'il avait fait passer mon âme par des sensations si poignantes et si douces !